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Les enjeux du supercyclage du cuir dans la filière luxe
Le 24 février 2020 se tenait aux MINES Paris Tech la troisième édition des Rencontres CARATS, cycle de conférences organisé par le Réseau CARATS. Ce réseau est constitué de 70 laboratoires de recherche et 17 plateformes technologiques piloté par les trois Institut Carnot. Ces 4000 experts de la recherche partenariale se mettent au service de la filière mode & luxe pour générer et stimuler l’innovation au sein des entreprises.
Cette troisième édition était consacrée au développement durable pour la mode et le luxe et regroupait trois experts. Jean-François Bassereau, Professeur à l’École des MINES de Saint-Étienne et Directeur de la Recherche chez RCP Design Global, est intervenu sur les enjeux du super cyclage dans la mode et le luxe. Valérie Laforest, Directrice de Recherche et Responsable du département Génie de l’Environnement et des Organisations à l’École des MINES de Saint-Étienne, a présenté deux approches d’évaluation environnementale pour les entreprises. Enfin, Frédéric Ruch, Responsable du pôle Ingénierie des Polymères et Composites au CETIM-CERMAT, a exposé les différents composites utilisés dans l’industrie et leurs caractéristiques environnementales.
« Une fabrique de valeurs d’exception » C’est ainsi que Jean-François Bassereau caractérise l’artisanat de la filière mode & luxe, et c’est ainsi qu’il est pertinent de le qualifier car c’est le processus de création de valeur qu’il faut considérer quand on se questionne sur les enjeux du recyclage dans le luxe.
Démonstration. L’artisanat du luxe combine la haute qualité intrinsèque des matériaux employés et les spécificités des gestes et des savoir-faire d’exception des artisans qui contribuent à animer et développer un patrimoine riche. Comme dans toute industrie, des déchets sont générés aux diverses étapes de production. Quatre modèles de traitement des déchets s’offrent alors à nous : la prévention, la valorisation, le recyclage et l’élimination.
Souvent, recyclage et valorisation sont employés dans le langage courant comme des synonymes. On pourrait effectivement argumenter que le recyclage d’une bouteille en plastique par exemple, revient à valoriser l’objet devenu déchet. Ainsi, nous aurions tendance à considérer que le recyclage et la valorisation sont sur un plan d’égalité en termes d’écoresponsabilité. Pas vraiment.
Le recyclage, à la fois mode de traitement des déchets et mode de production de ressources, implique la destruction de l’objet, pour le transformer en nouvelle matière, ou pour exploiter l’énergie produite lors de son traitement. On peut alors parler d’économie circulaire, où les déchets sont traités et réinjectés sous une forme ou une autre dans l’économie, dans une logique vertueuse d’anti-gaspillage des ressources.
Jean-François Bassereau pointe cependant du doigt les effets pervers de l’économie circulaire, qui justifierait le raisonnement suivant : le déchet n’est plus un problème puisque celui-ci est traité et valorisé. Tout objet devenu déchet peut ainsi être jeté et remplacé plus vite. Au-delà du fait que cette logique de circularité perpétuée par le recyclage induit le consommateur dans une consommation grandissante, elle induit également une destruction grandissante des biens créés.
Or, si l’on reprend l’exemple de la bouteille en plastique, la fabrication de celle-ci n’a pas fait appel aux mêmes moyens et n’a pas généré la même valeur que le processus de fabrication, par exemple, d’un article de maroquinerie de luxe. De quelles valeurs est alors constitué un article issu de l’artisanat du luxe ?
Selon Jean-François Bassereau, il faut d’abord considérer la valeur d’origine. Pour le cuir, on parle de peaux animales, noble matière issue d’êtres vivants et co-produit de l’industrie alimentaire. Est ensuite créée la valeur historique, autrement dit le savoir-faire. Celui de l’industrie de la tannerie mégisserie remonte à la nuit des temps, et les gestes effectués par les tanneurs actuels demeurent quasiment identiques à ceux décrits dans l’Encyclopédie de Diderot de 1751. L’innovation porte surtout sur l’optimisation des procédés, qui eux aussi contribuent à la richesse du patrimoine et à la création de valeur. Le cuir tanné représente ainsi déjà à cette étape une valeur ajoutée exceptionnelle, par la noblesse du matériau, le nombre de mains dans lesquelles la peau est passée et le savoir-faire transmis et perpétué au fil des siècles. Cette matière première est ensuite modelée en produit fini : l’article de maroquinerie de luxe. Cette étape aussi englobe des savoir-faire d’exception, maîtrisés par des artisans qui ont perfectionné leurs gestes de génération en génération.
Au cours de ce processus de création de valeur, il y a aussi, et surtout, les « oubliés », comme Jean-François Bassereau les appelle. Les chutes de matériaux, les matériaux écartés, les rebuts, les invendus… Or dans le luxe, la matière première étant de grande qualité et l’excellence étant démontrée à chaque étape, la valeur est, pour ainsi dire, partout. Ainsi, est-il bien raisonnable de choisir la voie du recyclage pour traiter ces « oubliés » ? Ne vaut-il pas mieux privilégier la valorisation, à savoir considérer la valeur intrinsèque des objets et continuer de l’amplifier ?
C’est ce que Jean-François Bassereau nomme le super cyclage : « une démarche écoresponsable de création et de caractérisation de matériaux et d’objets à partir de chutes et rebuts, de la mode et du luxe, en jouant non seulement de leurs propriétés, mais également de leurs valeurs et qualités ». Le super cyclage s’appuie sur une valeur existante, et produit une valeur supplémentaire.
Le raisonnement de Jean-François Bassereau fait entièrement écho à la philosophie de SED NOVE Studio. Valoriser les cuirs issus des stocks dormants de l’industrie du luxe est une manière d’honorer le travail des artisans (et, sans rentrer dans des considérations pouvant être perçues comme antispécistes, honorer les bêtes qui nous nourrissent) en considérant le matériau « à sa juste valeur ».
Valoriser, c’est s’interdire toute action qui ne crée pas de valeur.